La 51e édition du Theatertreffen, « plus intéressants que jamais » (!), selon le directeur artistique du Haus der Berliner Festspiele Thomas Oberender, a été inaugurée par une constellation prestigieuse : la mise en scène monumentale, par Dimiter Gotscheff, du texte „Ciment“ de Heiner Müller.
Deux icônes décédées (Gotscheff est mort quelques mois après la première de cette ultime pièce), introduites par une icône vivante : Alexander Kluge. Avant que la pièce ne commence, ses courts-métrages ont été projetés. Ils montrent tour à tour Gotscheff lisant et Müller causant (ou plutôt fumant en silence en écoutant Kluge parler, poser des questions et y répondre lui-même). La réaction du public – un rire attendri – est éloquente et montre à quel point on est attaché, ici, à ces trois hommes. Dans son discours, Kluge s’est exprimé sur le rôle du théâtre : en rendant possible un dialogue avec les morts, le théâtre compose, mieux que n’importe quelle suite d’informations, une image de la complexité du présent. « J’aimerais les avoir tous les deux avec nous ce soir », conclut-il, ce que le public semble approuver.
„Ciment”, de Heiner Müller
Mise en scène: Dimiter Gotscheff
Première: 5. Mai 2013, Residenztheater Munich
– une courte critique initialement publiée en anglais dans le cadre d’une contribution collective –
Une bande de personnages en haillons nous fixe dans le silence complet : la version de Gotscheff du „Ciment“ de Heiner Müller commence avec une image forte de la Russie Soviétique des années 1920. C’est l’histoire, entrecoupée d’éléments de mythologie antique, de Gleb Shumalov, un homme de retour dans sa ville natale après trois ans de guerre civile. En arrivant, il trouve un monde communiste tragique et auto-destructeur, où chacun est un ennemi potentiel à tuer, où même sa femme Dasha est devenue froide et distante – l’extraordinaire Bibiana Beglau.
L’actrice donne à son personnage les plus subtiles variations de tons, passant d’une voix presque inhumaine à une tendresse extrême ou une grande détermination, alors qu’elle dévoile son passé tout en se positionnant sur l’émancipation de la femme. La tension de toute la pièce est faite de cet équilibre délicat entre silences perturbants et sons frappants, qu’il s’agisse des chants profonds de l’actrice Valery Tscheplanowa ou du bruit des blocs de ciments violemment posés sur le sol par le personnage principal.
Après une première partie fascinante, la pièce se perd malheureusement dans d’interminables discussions et discours jusqu’à devenir réellement insupportable – ce que l’on peut, au fond, interpréter comme une manière de transmettre l’expérience de la lourdeur structurelle de ce monde en perdition.
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Photo: Armin Smailovic
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